Difficile à croire, mais Tikok n'est pas qu'une plateforme de divertissement, elle influence aussi les jeunes à lire - beaucoup. Avec le hashtag #Booktok, utilisé par de nombreux créateurs de contenus, la littérature fait son grand retour chez les ados. On pense notamment au phénomène Kafka, l'auteur angoissé qui a séduit la jeunesse 100 ans après la publication de ces ouvrages. Mais ce que les teens lisent peut être le plus, ce sont les dark romance (et c'est loin d'être une bonne nouvelle). 

Séquestration, violences, sexe torride, autant de thèmes que l'on trouve dans ces romans d’amour ultra-stéréotypés dont raffolent les jeunes adolescentes. Dans une ère post #MeToo, qui dénonce les schémas patriarcaux intégrés à notre société, l’engouement des jeunes lectrices pour ces histoires d’amour toxiques inquiète. On vous explique.

 

La dark romance, kézaquo ? 

"Il me traque... Il m’espionne... Il me terrifie... Il faudrait être dingue pour tomber amoureuse de lui, pas vrai ?" Elle a 26 ans et a tout pour être heureuse malgré un passé difficile, mais un homme la suit, elle le sent et ce désir de lui céder la ronge. C’est ce que propose le livre À vif de Belle Aurora qui connaît un succès fulgurant sur la TikToksphère. Genre très en vogue, la dark romance parle d'histoires d’amour interdites où violences physiques et psychologiques sont souvent les bienvenues. Enlèvement et séquestration avec le fameux schéma victime bourreau, c’est en résumé le pitch de ce genre littéraire.

Pas besoin de scroller longtemps TikTok pour voir tomber sur des recommandations littéraires plus ou moins douteuses. Si Kafka vit une gloire post mortem grâce aux recommandations des créateurs de contenu, les dark romances restent les lectures favorites de la jeunesse. Le phénomène a même dépassé la sphère du digital : dans les librairies, les romances de ce genre sont en tête de gondole et on remarque que ces romans ne servent pas qu’à réconforter les quarantenaires célibataires en manque d'amour. Les ados viennent par dizaine à la sortie des cours chercher la nouvelle dark romance qui trend sur le Booktok.

Certaines booktokeuses cumulent des milliers d’abonnés et vivent de ça. Devant leur smartphone, elles se lancent dans le teasing d’un roman qu’elles ont particulièrement aimé, à coup "trigger warnings" qui ne sont là que pour attiser la curiosité du chaland. Si les dark romance ont le bénéfice de relancer l'industrie du livre physique, elles restent pour autant problématiques. Souvent, le thème est dérangeant, ou même à la limite de l'acceptable (encore plus lorsque l'on est une adolescente en pleine construction).

Emprise, violence, suicide, viol, séquestration... Les lectrices raffolent surtout du schéma "ennemies to lovers" : les protagonistes qui se détestent en finissent par tomber amoureux. L'autre grand classique dans la dark romance, c'est le "bully to lovers" qui n'est ni plus ni moins qu'un syndrome de Schtokolm. En vrac, on retrouve également les histoires d'amour entre lycéenne et professeur, le baby-sitter et le père de famille, le beau-père et belle fille... Autant de réjouissances pointées du doigt par la société qui font fantasmer la jeunesse.

 

Un public beaucoup trop jeune et qui a tendance à normaliser les relations toxiques

Nous avons tous et toutes des fantasmes qu’on n’avouerait pas à haute voix, les dark romance sont l’endroit où les bonnes mœurs n’ont pas leur place et il n'est pas question d'en faire le procés. Mais on ne peut pas nier quelque chose dévident : l’âge des lectrices.

Ce sont souvent les jeunes ados qui s’arrachent les dark romance, comme témoigne Elsa Mittelette, une libraire qui s’inquiète de ce phénomène dans Libération. Ces inquiétudes ont commencé lorsque le roman Captive est devenu viral sur les réseaux sociaux : "On n’a pas le droit de refuser des ventes mais je me retrouve dans des situations compliquées. Des adolescentes de 13 ans viennent acheter Captive parfois avec leur mère". Que la jeunesse lâche son téléphone pour lire c’est super, mais que ce soit pour intégrer des schémas amoureux toxiques, ça l’est moins. 

Ce n'est pas la première fois que du contenu problématique est consommé en masse par les ados (toute une génération a été biberonnée à Gossip Girl), mais que ces dark romance remportent un tel succès post #Metoo, c’est d’autant plus choquant. Le féminisme prend de plus en plus de place dans notre société pour dénoncer le patriarcat qui façonne les modèles sexistes et bien qu’on soit encore loin d’une égalité parfaite, les consciences s’éveillent... Sauf que ce ne sont pas ces stéréotypes amoureux et ces schémas violents qui aideront les jeunes filles à construire des relations saines. Une jeune adolescente n’a pas la maturité suffisante pour prendre du recul sur ces lectures et c'est là tout le problème. 

Être attirée par des gens qui nous rejettent, développer le syndrome du sauveur, se retrouver dans des relations abusives : autant de risques que ces lectures comportent pour des jeunes ados, qui risquent de normaliser ces comportements et de les appliquer dans leurs relations futures. 

Le trigger warning, une solution ?

Le trigger warning prévient des thèmes pouvant choquer, certes, mais qui n'a jamais eu envie de braver les interdits à 12 ou 13 ans. Regarder des films déconseillés au moins de 16 ans, jouer à GTA alors que l'on a à peine 14 ans... Autant de petits actes de rebellion qui animent la jeunesse. Mais, si pour certains les Dark Romance seraient le meilleur moyen de dénoncer les violences (psychologiques et sexuelles), encore faut-il que les lecteurisses soient en mesure de comprendre tous les aspects toxiques de ce genre littéraire.

Pour beaucoup, la solution reste le trigger warning, mais est-ce qu'un paragraphe en début ou fin de livre est suffisant pour aider à prendre conscience de tous les aspects discutables du genre ? Rien n'est moins sûr. Le problème reste l’accessibilité de ces histoires à un très jeune public en plein développement émotionnel. 

Quid des lecteurs masculins ?

Bien qu’il y ait des lecteurs masculins de dark romance, ces derniers préfèrent des ouvrages autour des thèmes de l’empowerement et de l’argent. Des stéréotypes de genre qui restent bien ancrés. Parmi les trois ouvrages les plus en vogue, on retrouve « L’art de la séduction » de Robert Greene et rien que le titre en dit long. La première phrase de la quatrième de couverture nous donne le ton « Obtenez ce que vous voulez en manipulant le talon d'Achille de chacun : l'insatiable besoin de plaisir » : en gros, comment devenir un bon manipulateur.

Un combo toxique réussi entre un garçon qui aura appris la domination et une femme qui aura appris la soumission. Encore beaucoup de travail pour déconstruire tout ce que le patriarcat nous apprend depuis des siècles. 

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